- VERTU
- VERTUL’exigence de vertu s’ancre dans le désir de trouver une loi qui rendrait la répétition possible. Mais conquérir l’impassibilité, est-ce devenir un dieu ou son servile imitateur? est-ce promouvoir la vie ou bien l’étouffer? est-ce conquérir le bonheur ou, au contraire, ôter toute saveur à l’existence? Bref, l’exigence de vertu peut-elle s’universaliser?Concevons la vertu comme la simple manifestation d’une force en mouvement, la mise en œuvre d’un pouvoir qui s’autosuffit, l’opération qui correspond le mieux aux penchants et aux besoins d’un individu isolé; alors «prendre à bail» la vertu serait le propre d’impuissants cherchant la liberté dans la pensée plus que dans l’action; supposer possible une définition de la vertu serait le fait d’hypocrites élevant le savoir au-dessus de la pratique; vouloir préciser les canons de la vertu serait l’affaire de présomptueux s’efforçant d’en imposer par des propos plus que par des actes. «Nul ne sait encore ce que sont le bien et le mal, disait Zarathoustra, nul, si ce n’est le Créateur.»Reste qu’on ne saurait pourtant dénier à l’apologétique de la vertu sa portée humanisante, comme si, au-delà de toute victoire sur une morale déterminée, s’affirmait le triomphe d’une certaine «forme» de conduite, d’un certain «art» de vivre, ou peut-être plus simplement encore d’un certain type de «représentation», donatrice de sens. Certes, on ne saurait rabaisser les dons au profit des vertus, pour faire du mérite la seule source morale. Et néanmoins comment ne pas voir en la vertu la source privilégiée du sublime, dans la mesure où elle atteste chez l’homme l’existence d’un pouvoir qui, selon l’expression kantienne, «dépasse toute mesure des sens»?Mais, si toute vertu procède de lui, Dieu n’est pas vertueux, la vertu dans son archétype n’est vertu de personne, vertu et perfection s’excluent réciproquement. Dès lors, comment l’homme vertueux pourrait-il garantir le statut de ses propres actes? Et la vertu ne peut-elle se connaître que dans son négatif, par la découverte de ce qui lui manque?«Trouvons, dit par exemple Plotin, cet élément identique qui, à l’état d’image en nous, est la vertu, et, à l’état d’archétype en Dieu, n’est pas la vertu.» Cette quête paradoxale paraît bien significative d’une tentative perpétuellement réitérée au cours des siècles pour délaisser le domaine d’une anthropologie pragmatique, afin de poursuivre l’élaboration théologique du problème à la limite d’une théodicée: c’est, en effet, seulement dans le mouvement dialectique de la Trinité que l’aporie plotinienne trouve sa résolution, suspendue à une conception du Christ comme Vertu de Dieu.Mais cette tentative de dépassement de l’anthropologie pragmatique s’effectue dans d’autres directions privilégiées, celles de la réflexion politique et juridico-morale. À la recherche de son identité, l’homme vertueux ne cesse de s’efforcer à en surprendre les signes – plus ou moins visibles – au sein d’un groupe social, d’une communauté nouménale, ou d’une Église constituée. Quel est l’objet, le sens et la logique interne de cette démarche, c’est ce qu’il faudrait ressaisir, afin de déceler, au-delà de l’aspect psychologique et esthétique du problème, le statut spécifique de la vertu.1. Le mythe vertuiste«La vertu antique ( 見福﨎精兀), écrit Hegel, avait une signification précise et sûre, car elle avait son contenu solide dans la substance du peuple, et elle se proposait comme but un bien effectivement réel, un bien déjà existant.» Comment contester l’exigence d’ 見福﨎精兀, quand celle-ci est conçue, suivant les termes de Gorgias, comme «la chose donnant à qui la possède la liberté pour lui-même et la domination sur les autres dans sa patrie»? L’ 見福﨎精兀, c’est d’abord la qualité propre d’une chose, ce qui la rend apte à remplir sa fonction, qu’il s’agisse d’une cithare, d’un cheval ou d’un discours. Aussi bien, en ce qui concerne l’homme, l’ 見福﨎精兀 est-elle ce en quoi se réalise sa nature propre, ce qui lui confère son excellence. Quoi de plus loin, en une première approche, du sens moral moderne du terme «vertu»!Aussi bien est-on déconcerté de voir tant Platon au niveau du Ménon qu’Aristote dans l’Éthique à Nicomaque commencer par répondre aux questions de leur interlocuteur; et, plutôt que de s’interroger sur la nature de la vertu, se demander respectivement si la vertu s’enseigne et «quels moyens il faut employer pour devenir vertueux». Certes, les notions de justice et de vérité introduites par Platon le conduisent à réviser l’idéal d’ 見福﨎精兀 communément reçu. D’une part, la vertu est conçue dans le Théétète comme le résultat d’une fuite et d’une conversion, de l’autre elle apparaît au niveau du Philèbe comme art des dosages, sous la régulation de la norme suprême.Pour Aristote, la réponse à la question posée est beaucoup plus immédiate. «Qu’il faille agir selon la droite raison, voilà ce que l’on accorde généralement; admettons-le donc comme point de départ.» Or la droite raison nous enseigne à entretenir et à ménager nos forces vives pour les mieux conserver. Ainsi, la vertu apparaît comme art de la mesure et science du placement, bien plus comme stratégie du bonheur, puisque, en tant qu’habitude, elle devient la source d’un plaisir spécifique, lié à la répétition. La vertu est essentiellement ce dans et par quoi l’homme se rend supérieur au destin, grâce à la maîtrise de ses passions et à l’exploitation de ses possibilités d’action. Elle est digne de louanges pour autant qu’elle réside dans une mise en œuvre effective de la liberté. Mais cette libération d’un pouvoir ne paraît encore receler aucun caractère proprement moral. «La juste moyenne obtient des éloges et le succès», écrit Aristote! À ce niveau apparaît l’équation heureuse de la vertu et de la réussite, «cette harmonie optimiste et païenne de prospérité et de vertu qui, suivant les termes de V. Jankélévitch, fait le fond de tout vertuisme eudémoniste», et qu’il appartint à Kant de définitivement briser.On voit ici comment la vertu naît de la force reconnue. L’éloge de la vertu antique par Hegel rejoint ici l’apologie nietzschéenne de l’idéal de maîtrise dans une justification de l’ordre établi. «Il vaudrait mieux faire vouloir aux lois ce qu’elles peuvent, puisqu’elles ne peuvent que ce qu’elles veulent», écrivait Montaigne avant Pascal. Tout acte grand ne s’accomplit que dans l’amour, et il importe avant tout de chérir ce dans quoi nous nous affirmons, de la même manière que la mère chérit son enfant, c’est-à-dire en se mettant tout entière en lui. La question de savoir si l’homme est intéressé ou désintéressé s’effondre alors devant la mise en évidence d’un «intérêt supérieur», et la vertu prend pour source la passion assumée. L’«homme-mère» de Nietzsche s’avère ainsi être au-delà de la morale, dans la mesure où il refuse tout critère extérieur de validation pour son action. Et il s’écrie avec Périclès: «Notre audace s’est frayé un passage par terre et par mer, s’élevant partout d’impérissables monuments, en bien et en mal !»Certes, Hegel, comme Nietzsche, dénonce dans l’idée d’une concordance entre vertu et bonheur l’illusion d’une nature humaine bonne en soi et constituée de telle sorte que l’excès de son plaisir lui nuit autant qu’à autrui. Nul, mieux que Spinoza, n’a sans doute répercuté dans sa philosophie morale cette idée d’une régulation spontanée qu’on trouve au fondement du libéralisme économique. «Le bonheur n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même.»Cependant, le mythe vertuiste, développé par la bourgeoisie triomphante, s’ancre dans un optimisme de classe, non dans l’esprit d’un peuple. Et, sur ce point, la critique hégélienne va plus loin que celle de Nietzsche: si Périclès se situe au-delà de la morale, c’est parce que dans son action il actualise le génie de son peuple, ses mœurs, ses lois et son langage. Hegel appelle «empire éthique» le règne, en un lieu et un moment historique déterminés, de certains usages et coutumes. Aussi bien laisser s’exprimer la «substance éthique» de son peuple équivaut-il à épouser de l’intérieur une morale qu’on ne saurait certes qualifier de «provisoire». La morale est, en effet, moins éthique qu’éthologie, moins appréciation des actes qualifiés bons et mauvais sub specie aeternitatis que justification de l’opération par la mise en évidence de la force présidant à son accomplissement.Mais c’est en même temps dire les limites de pareille conception. La substance éthique, lorsqu’elle est immédiatement dans son être, est une substance bornée, un esprit singulier. La conscience est encore en quelque sorte déterminée de l’extérieur et n’ose prendre sur elle de s’affirmer comme pure singularité. Toute la question est alors de savoir si la séparation lui est permise, et s’il est possible de ne pas prendre à la lettre la métaphore de la parturition, dont Nietzsche fait si grand usage. Doit-on reconnaître un individu à ses actes, et à eux seulement? Est-il de l’essence de la vertu de se montrer toujours «éclatante»?2. Agonistique de la vertuDans l’éthique évangélique, il semble au contraire que la véritable vertu soit à décrypter sous une apparence grossière. D’une façon déconcertante, rien de la précellence et de la majesté temporelle ne doit se refléter dans les figures féminines par lesquelles un Giotto a représenté les vertus. Massives et vulgaires, elles sont plus proches de puissantes ménagères que de ces gracieuses silhouettes de déesses léguées par le Quattrocento. «Charité sans charité», charité portant un symbole dont elle ne semble point saisir le sens, disait le jeune Proust; présence entêtante d’une réalité imperméable à l’herméneutique.S’agit-il d’innocence ou d’une apparence savamment calculée d’innocence? Il ne faut point qu’on puisse savoir, afin que l’homme vertueux ne se voie pas contraint de recueillir le bénéfice mondain de sa pratique vertueuse. Ainsi, l’exigence de duplicité est incontournable chez celui que Kierkegaard appelle «témoin de la vérité». Celui-ci, renonçant à lui-même pour exprimer le général, ne peut qu’ignorer l’idéal de maîtrise, et ne saurait par ailleurs espérer repos, compréhension ou sympathie, de quelque ordre que ce soit. Dans une relation immédiate et de tous instants à la divinité, le «héros de la foi» atteste seulement par sa présence la possibilité de l’impossible, l’intrication de l’infini au fini et la réitération perpétuée du mouvement généralisateur de la foi. La vertu est héroïque ou elle n’est pas. Cependant, à voir ce témoin, nous dit Kierkegaard, «on croirait un scribe qui a perdu son âme dans la comptabilité en partie double, tant il est méticuleux». Nous sommes là bien loin de cette forme glorieuse et ostentatoire du sublime qu’on trouve chez un Corneille ; loin que l’homme ait à s’effacer pour faire triompher la vertu, c’est la vertu elle-même qui pour Cinna doit s’élever à la hauteur de l’homme:DIR\S’il est pour me trahir des esprits assez bas,Ma vertu pour le moins ne me trahira pas;Vous la verrez, brillante au bord des précipices,Se couronner de gloire en bravant les supplices.../DIRDeux agonistiques de la vertu sont ici confrontées; dans l’une la vertu triomphe de la lâcheté, dans l’autre c’est sur elle-même qu’il lui faut remporter la victoire. La première dresse l’un contre l’autre héros et homme vulgaire, la seconde met en évidence l’indigence de l’homme à exhiber les signes de sa sublimité. La vertu semble là possible; ici c’est son absence qu’il s’agit de rendre sensible.Cependant, dans un cas comme dans l’autre le ressort de la vertu est bien le courage moral. «La vertu n’appartient qu’à un être faible par sa nature et fort par sa volonté», écrit Rousseau au cinquième chapitre de L’Émile ; ce qu’il commente dans une lettre à Monsieur de Franquières: «Il n’y a point de vertu sans combat, il n’y en a point sans victoire. La vertu ne consiste pas seulement à être juste, mais à l’être en triomphant de ses passions, en régnant sur son propre cœur.» Par suite – et tel est bien le paradoxe –, l’homme ne saurait être vertueux à l’état de nature. Certes, l’innocence – ou plutôt la «bonté», pour parler le langage de Rousseau – caractérise tant l’homme primitif que l’enfant chez lequel ne se sont pas encore éveillées les passions. Certes, il s’agit là d’un instinct plus sûr que la loi de la vertu, car le danger est moins grand de contredire son penchant que de contredire son devoir. Mais la vertu a davantage de «pureté» que la bonté; et si la vie sociale semble à Rousseau préférable à l’état de nature, c’est parce qu’elle élève l’homme à un niveau supérieur en le forçant à devenir vertueux. Aussi bien, tant le pacte pédagogique que le pacte politique reflètent-ils chez l’homme la volonté de «s’assujettir à la raison» et d’être en quelque sorte contraint à la liberté.Demeure néanmoins chez Rousseau la nostalgie d’une vertu qui naîtrait spontanément, d’une vertu qui serait immédiatement attrayante, telle «la plus douce des voluptés». «Ô vertu, se lamente-t-il, science sublime des âmes simples, faut-il donc tant de peines et d’appareil pour te connaître? Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs? »Notons ici ce déplacement fondamental: les signes de la vertu sont déchiffrables comme dans la morale orgueilleuse des maîtres, et à la différence de ce qui se passe dans la morale évangélique, où seul est juge «celui qui voit dans les cœurs». Cependant, le mythe vertuiste d’une harmonie entre vertu et succès est détruit au profit d’une nouvelle équation: celle entre volonté pure et volonté générale. Il ne s’agit pas tant de chercher le ressort de la vertu que de mettre en évidence sa source dans un cœur «pur», désireux d’acquérir des titres à la reconnaissance universelle. Le problème n’est pas tant d’affirmer l’homme ou la race que de promouvoir sous le nom de vertu un idéal qui soit universalisable.3. La vertu créatriceAinsi est formulée l’idée romantique d’une «loi du cœur». Cependant, que cette notion recouvre une simple nostalgie, et qu’elle ne puisse pas même servir de pierre de touche à une lutte authentiquement révolutionnaire, voilà ce que l’histoire, la littérature et la philosophie de la fin du XVIIIe siècle se sont appliquées à démontrer.D’une part, la loi du cœur, justement par le fait de son actualisation, «cesse, comme le dit Hegel, d’être la loi du cœur»: en effet, dans le contenu d’un cœur, les autres hommes ne trouvent pas accomplie la loi de leur propre cœur. D’autre part, la vertu subjective, qui se guide sur le seul sentiment, entraîne avec elle la plus redoutable tyrannie; prendre «au sérieux» la vertu conduit à faire régner la suspicion généralisée.Enfin, la folie et la mort menacent le cœur présomptueux qui seul et au nom de ses principes voudrait bouleverser le cours du monde. L’on ne saurait impunément se poser comme «redresseur de torts» et adopter une attitude qui, pour se maintenir, exige la transformation du simple orgueil en mépris. La vertu étant seule posée comme réelle, le monde devient ce qui doit être détruit purement et simplement, ou bien – cas plus grave pour le sujet lui-même – ce qui n’est plus digne de son intérêt. Il s’agit là de ce «déclin du monde» qu’il est revenu à Freud de caractériser, dans l’étude du cas du président Schreber, comme emblème ou soleil noir de la désespérance psychotique.Le cœur se révèle dès lors impuissant à légiférer, et la conscience qui avait cherché son actualisation immédiate s’aperçoit de son néant face à l’essence universelle. La loi apparaît en ce moment décisif comme l’essentiel, et l’individualité comme ce qui doit être supprimé, aussi bien dans la conscience de l’individualité vertueuse que dans le cours du monde. La «discipline vraie» de la vertu consiste ainsi dans le sacrifice de la personnalité intégrale, sacrifice qui seul nous donne «l’assurance et la preuve, suivant les termes de Hegel, que la conscience de soi n’est plus liée et fixée à des singularités». Par la suppression de l’individualité, «on fait place à l’en-soi du cours du monde», c’est-à-dire qu’on permet à l’«ordre universel» qui en est l’essence d’émerger comme réalité.On retrouve donc ici cette notion, qui faisait déjà le cœur de la conception platonicienne de la vertu, d’«ordre du monde» à restituer et à promouvoir par la pratique de la justice. Celle-ci, définie dans La République comme la capacité d’accomplir la tâche qui est nôtre, confère à toutes les autres vertus – sagesse, courage et tempérance – la capacité de se produire, et, une fois qu’elles sont produites, «sauvegarde leur existence». Cependant, la pratique de ces vertus exige un renoncement qui seul permet d’acquérir la pensée de l’ordre, laquelle est l’exercice de purification par excellence ( 見見福猪礼﨟). Échanger des plaisirs contre des plaisirs, des peines contre des peines, cela «constitue cette sorte de vertu qui est une peinture en trompe-l’œil». Le vrai, au contraire, est «une purification à l’égard de tout ce qui ressemble à ces états». La vertu apparaît ainsi comme le consentement au dépouillement. Elle ne demande pas tant qu’on s’ajoute quelque chose, mais au contraire qu’on retranche tout ce qui empêche la pensée de se tourner vers la vérité.Mais comment alors concevoir autrement que comme une grâce cette vertu qui naît d’une conversion à Dieu bien plus que d’une lutte contre le mal? «En général, écrit Plotin, nous évitons les maux; mais notre volonté propre n’est pas de les éviter: elle est plutôt de ne pas avoir à les éviter .» Aussi – dans un autre registre – saint Augustin déclare-t-il à propos des philosophes que leur illusion réside dans la croyance où ils sont d’être responsables de leur vertu, alors qu’il importe avant tout de «demander» au Seigneur ce que seul il est apte à faire éclore. «La vertu n’est autre chose que d’aimer ce qu’on doit aimer», c’est-à-dire Dieu, dont l’ordre est d’amour. «Sans la vertu véritable, disait Plotin, Dieu n’est qu’un mot.» Augustin renverse la proposition: sans la foi qui est amour, la vertu n’est que faux-semblant.Il est revenu à Malebranche de préciser la définition augustinienne de la vertu qui devient alors «l’amour dominant , habituel et libre de l’ordre immuable»: en effet, il importe avant tout au philosophe de distinguer l’ordre du mérite et celui de la grâce. «La foi est un don de Dieu, qui ne se mérite point: mais l’intelligence ne se donne ordinairement qu’aux mérites. La foi est pure grâce en tous sens: mais l’intelligence de la vérité est tellement grâce qu’il faut la mériter par le travail ou la coopération à la grâce.» Au cercle augustinien du don et de la demande correspond celui de la grâce et du mérite.Mais – Kant nous l’a enseigné – l’un comme l’autre ne font que représenter le cercle d’une liberté connue dans son seul effet, alors qu’elle n’est effectivement réelle que dans son principe ou intention. Sans l’acte moral, la liberté ne saurait être postulée; sans la liberté, l’acte moral ne saurait avoir été. La vertu ne peut pas plus être naturelle que la nature vertueuse, sauf si la nature change de sens pour devenir nouménale, sauf si la vertu s’inscrit dans le cours du monde pour devenir sainteté.En essayant d’établir ce qui est du ressort de la «raison pratique» – de ce que Malebranche appelle la «force» et la «liberté de l’esprit» –, Kant croit pouvoir dégager, eu égard aux fins suprêmes de la raison, des «lois de la moralité» qui ne se réduisent pas à de simples conseils de prudence. Si la liberté de l’homme consiste dans son autonomie, alors la raison ne doit jamais être pathologiquement déterminée, mais trouver en elle-même le principe de sa détermination: la volonté doit être conçue comme instituant une législation universelle. Aussi bien peut-on établir une «doctrine de la vertu» déterminant les «devoirs de la vertu», autrement dit les actes dans lesquels la force morale de la volonté, c’est-à-dire son autonomie, se manifeste à l’évidence: envers soi-même, devoir d’accroissement de sa propre perfection; à l’égard d’autrui, devoirs d’amour et de respect.La vertu conduit le sujet à assumer le manque fondamental de son existence, à prévenir le défaut de l’autre à l’assister dans la quotidienneté, et à justifier l’absence de l’être à lui-même. Le propre du plaisir est, en effet, en quelque sorte de nous donner «corps en l’autre», l’individu se jetant dans la vie pour en cueillir les fruits; mais la vertu est issue d’une colère, d’un désir d’être reconnu par l’autre, d’être «pour lui» comme valeur. Entre les deux possibilités «jouir ou ne pas jouir», tout se passe comme si la vertu trouvait une «troisième solution» lui permettant de sortir du conflit. En ce sens – comme affirmation du pouvoir de la conscience de soi par-delà la vie et la mort –, la vertu apparaît bien dans l’impérialisme du désir passionné, comme «volonté de puissance». Mais la vertu tend à découvrir la vanité d’une colère portée par un individu isolé. Elle prétend alors à la communication universelle, visant non plus seulement la reconnaissance de soi-même par l’autre, mais de l’autre par soi. Tel apparaît le «piège» dressé par la vertu. Dans l’illusion qu’il existe un langage universel, par la médiation duquel je puis me connaître en l’Autre, et l’Autre en moi, la conscience vertueuse tantôt condamne le monde existant, tantôt le justifie. Elle le condamne, parce que le bien est à réaliser. Elle le justifie, car elle ne saurait trouver foncièrement mauvais ce cours du monde, qu’il soit conçu comme créé par Dieu ou par d’autres consciences à elle semblables, et auxquelles elle ne saurait sans arrogance dénier la vertu. Par suite, si l’on conçoit la vertu comme vouée à l’expression, comment pourrait-elle éviter une rhétorique qui engendre ennui et suspicion? La répétition ne saurait être possible dans le fini, et la moralité s’épuise et se pervertit dans sa manifestation.4. Vertu et sublimationLa vertu se voudrait une réponse donnée par avance aux stimulations fortuites de l’existence, elle a pour ambition de mettre en quelque sorte le sujet au-dessus de son destin. Mais à quel prix y réussirait-elle? Socrate, disait Kierkegaard, jugeait tout avec l’impassibilité d’un mort. Serait-ce que la vertu ne puisse appartenir qu’à un mort, dont la seule ruse consisterait à nous faire croire qu’il est encore vivant? La vertu est abstinence, recueillement, «silence des passions», écrivait Rousseau.Mais, si la vertu a aujourd’hui encore un sens, c’est parce que sous ce terme nous désignons une force, dont nous aimerions dire qu’elle fait autorité en son genre. La vertu, c’est cette qualité dans laquelle le sujet parvient à s’exprimer, cet ordre qui se constitue progressivement, en dehors de tout projet conscient, ce désir que le courage consiste à contrecarrer le moins possible dans ses manifestations. En ce sens, le principe de la vertu est au-delà de la morale, au-delà du fini et au-delà de la mesure. Et, certes, vouloir se conformer à une législation universelle, c’est alors agir comme si, soi-même, l’on était mort. «Il faut, écrit Nietzsche, qu’une vertu soit notre création, notre défense, la nécessité la plus personnelle dans le besoin: sous toute autre acception, elle n’est qu’une menace.»Créatrice, la vertu l’est parce que le ressort de sa création lui échappe, qu’elle a voulu l’oublier pour mieux développer sa tendance à la perversion et à la déviance, mais dans une forme nouvelle qu’elle a su inventer. Si la sublimation est une perversion originale et qui réussit, alors la vertu issue du besoin est la sublimation même. «L’impuissance originelle de l’être humain, écrit Freud, devient ainsi la source première de ses motifs moraux.» Quel est en effet le prix de la morale, sinon cette stratégie grâce à laquelle nous nous rendons à autrui tolérable, et apprenons à supporter l’autre?On comprend mieux alors comment la recherche d’une hodologie s’est exprimée historiquement sous la forme d’une classification des vertus, théologales et contemplatives, mais aussi cardinales et génératrices de points de repère: justice dans l’échange, tempérance face aux désirs inconciliables, force dans la volonté, prudence dans la considération. Et quoi d’étonnant si les trois sœurs de la mythologie dont nous parle Freud, et qui représentent respectivement la mère, l’épouse et la mort, s’associent dans notre mémoire aux trois filles de Job, «toutes plus belles l’une que l’autre», et dont Grégoire le Grand nous dit qu’elles figurent les trois vertus théologales: foi dans le Créateur, espérance en cette «vallée de larmes», charité d’une définitive consolation...• 1080 « courage; force physique; sagesse »; lat. virtus « mérite de l'homme (vir) »I ♦ (XIIe) Vx ou didact. A ♦ LA VERTU.1 ♦ Vx Énergie morale; force d'âme. ⇒ cœur, courage. « Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu » (P. Corneille). « La naissance n'est rien où la vertu n'est pas » (Molière). ⇒ valeur.♢ Spécialt Courage militaire.2 ♦ Vieilli Force avec laquelle l'homme tend au bien; force morale appliquée à suivre la règle, la loi morale définie par la religion et la société (⇒ morale). « la vertu est toute dans l'effort » (France). « la vertu, c'est ce que l'individu peut obtenir de soi de meilleur » (A. Gide). « L'hypocrisie est un hommage que le vice rend à la vertu » (La Rochefoucauld). Ostentation de vertu. ⇒ pharisaïsme, tartuferie. — Loc. fam. Il a de la vertu : il a du mérite (à faire cela).3 ♦ Littér. Conduite, vie vertueuse. Un prince « qui chérit la vertu, qui sait punir le crime » (P. Corneille).4 ♦ Vieilli ou plaisant Chasteté ou fidélité sentimentale, conjugale (d'une femme). ⇒ honnêteté. « Cet infidèle mari qui semblait l'engager à commettre des fautes en taxant sa vertu d'insensibilité » (Balzac). Loc. Femme de petite vertu, de mœurs légères. — Dragon de vertu.5 ♦ (Sens objectif) La règle morale, le principe qui pousse à la vertu (2o). « Ô vertu, science sublime des âmes simples » (Rousseau). Suivre le chemin, le sentier de la vertu.B ♦ UNE,LES VERTUS.1 ♦ Disposition constante à accomplir une sorte d'actes moraux par un effort de volonté; qualité portée à un haut degré. « C'est une grande et rare vertu que la patience » (A. Gide). « les vertus bourgeoises, et particulièrement le goût de la propriété et de l'épargne » (Chardonne). — Parer qqn de toutes les vertus, lui attribuer toutes les qualités. — Faire de nécessité vertu. — Relig. Les quatre vertus cardinales : courage, justice, prudence, tempérance. Les trois vertus théologales : charité, espérance, foi. « Toutes les vertus d'humilité, de pardon, de charité, d'abnégation, de dureté pour soi-même, vertus qu'on a nommées à bon droit chrétiennes » (Renan).2 ♦ Plur. Relig. chrét. Anges du second chœur du second ordre (ou seconde hiérarchie). Les Vertus et les Trônes.II ♦ (XIIe)1 ♦ Principe qui, dans une chose, est considéré comme la cause des effets qu'elle produit. ⇒ efficacité, énergie, faculté, force, 2. pouvoir, propriété. Vertu magique, occulte. — Vertu médicale, curative. « ce je ne sais quoi de magique, où sans doute résident leurs vertus étrangement thérapeutiques [des plantes] » (Bosco).2 ♦ (Abstrait) ⇒ 2. pouvoir. C'est « sur cette vertu réparatrice du temps que les romanciers et les poètes ont insisté » (Sartre).3 ♦ Loc. EN VERTU DE... : par le pouvoir de... — Dr. « Tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l'instant » ( DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ). — Cour. Au nom de. En vertu des principes démocratiques. En vertu de quoi. ⇒ pourquoi (I).⊗ CONTR. Lâcheté; défaut, vice. Immoralité, imperfection. Débauche, libertinage.Synonymes :- mérite- moralité- sagesseDisposition particulière pour tel devoir, telle bonne actionSynonymes :- qualitéContraires :- défautChasteté féminineContraires :- débauche- dévergondage- infidélitéQualité, propriété particulièrement bonne, efficace de quelque chose ; pouvoir, propriétéSynonymes :- capacité- effet- efficacité- faculté- pouvoir- propriétévertun. f.rI./rd1./d Une vertu, des vertus: disposition particulière propre à telle espèce de devoirs moraux, de qualités. Vertus publiques et vices cachés.d2./d La vertu: disposition à faire le bien et à fuir le mal. Mettre la vertu de qqn à l'épreuve.|| Loi morale qui pousse à la vertu.rII./rd1./d Principe agissant; qualité qui rend une chose propre à produire un certain effet. Les vertus sédatives du tilleul.d2./d Loc. Prép. En vertu de: par le pouvoir de, au nom de. En vertu d'un jugement.⇒VERTU, subst. fém.A. — 1. Vieilli. Courage physique ou moral; force d'âme, vaillance. Mâle vertu; vertu romaine. [Le parti] le plus nombreux admiroit la vertu et la fermeté d'une jeune vierge qui, libre de régner sur un vaste royaume avec le prince qu'elle aimoit, avoit préféré les ombres de la retraite et de la pénitence, à une puissance et à une félicité que la religion réprouvoit (COTTIN, Mathilde, t. 2, 1805, p. 248). Ce fut sans doute avec une profonde sagesse que les Romains appelèrent du même nom la force et la vertu (J. DE MAISTRE, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 246).2. Absol. [Avec l'art. déf.] Disposition habituelle, comportement permanent, force avec laquelle l'individu se porte volontairement vers le bien, vers son devoir, se conforme à un idéal moral, religieux, en dépit des obstacles qu'il rencontre. Amour, triomphe de la vertu; aimer, appeler, pratiquer la vertu; croître, grandir en vertu; le vice et la vertu. La perfection de la volonté s'appelle la raison, la perfection de l'action est la vertu, virtus, action forte; car la vertu est force même avec la foiblesse physique (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 255). J'ai peur de n'avoir pas épuisé tous les moyens de persuasion pour ramener Dine dans le chemin de la vertu (AYMÉ, Vaurien, 1931, p. 230).— [En allégorie, personnification de la vertu] La vertu succombant sous l'audace impunie, L'imposture en honneur, la vérité bannie (LAMART., Médit., 1820, p. 99).3. Exercice de la vertu; la vertu telle qu'elle apparaît dans son expression, sa réalisation. Vertu angélique, austère; paré de toutes les vertus. Les maîtres pieux et zélés ne manquoient pas (...) au clergé de France pour former des ecclésiastiques à toutes les vertus de leur état (BONALD, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 216). Le christianisme (...) changea la position relative qu'occupaient entre elles les vertus. Les vertus rudes et à moitié sauvages étaient en tête de la liste; il les plaça à la fin. Les vertus douces, telles que l'humanité, la pitié, l'indulgence, l'oubli même des injures, étaient des dernières; il les plaça avant toutes les autres (TOCQUEVILLE, Corresp. [avec Gobineau], 1843, p. 45).— Vertu + adj. ou déterm. indiquant le domaine, l'espèce d'actes auxquels elle s'applique. Vertus chrétiennes, civiles, privées, morales, sociales. Vertus cardinales. V. cardinal1 II A 1. Vertus théologales.— Loc. proverbiale. Faire de nécessité vertu. V. nécessité II B 3.— En partic., vieilli ou plais. [À propos d'une femme] Retenue, chasteté; fidélité conjugale. À Séville, à Cadiz et à Grenade, il y avait de mon temps des bohémiennes dont la vertu ne résistait pas à un duro [douro] (MÉRIMÉE, Lettres ctesse de Montijo, t. 1, 1845, p. 135). La chasteté, pour la femme, est synonyme de vertu, comme pour l'homme la justice et le courage, car le milieu de l'homme est la cité, le milieu de la femme est la famille (MÉNARD, Rêv. païen, 1876, p. 113).♦ Femme de petite vertu. Femme de mœurs légères. À côté des salons de Mme de Staël, de Mme Récamier, de Mme de Condorcet à Auteuil, il s'en ouvrait d'autres, où l'on voyait se coudoyer des gens de toute origine et de toute culture, autour de Barras et d'Ouvrard ou des femmes de petite vertu qu'ils s'attachaient — la Tallien, la Fortunée Hamelin, la Joséphine de Beauharnais —, dont le déshabillé et le dévergondage servent aux anecdotiers pour caractériser l'époque directoriale (LEFEBVRE, Révol. fr., 1963, p. 602).♦ Dragon de vertu. V. dragon1 A 1 b.♦ Prix de vertu. Prix autrefois décerné à une jeune fille irréprochable; p. ext., reconnaissance des dons, des qualités de quelqu'un qui mérite d'être distingué. La commission chargée de l'examen des titres des concurrents qui se présentaient comme ayant droit au prix de vertu (...) a décidé à l'unanimité que le prix de dix mille francs serait accordé cette année au sieur Bernard-Augustin Atar-Gull, nègre, né sur la côte d'Afrique, âgé de trente ans et quelques mois (SUE, Atar-Gull, 1831, p. 37). L'historien n'a pas à délivrer des prix de vertu, à proposer des projets de statues, à établir un catéchisme quelconque; son rôle est de comprendre ce qu'il y a de moins individuel dans les événements (SOREL, Réflex. violence, 1908, p. 63).♦ P. méton., souvent iron. Femme qui constitue un modèle de chasteté, de fidélité amoureuse. Je prends pour bonnes toutes ces vertus de Genève; c'est la ville où il y a le moins de maris trompés (STENDHAL, Rome, Naples et Flor., t. 2, 1817, p. 283). Minutello: Tu veux me mettre dans les bras d'une courtisane en chômage ou d'une boîteuse? Bartholomeo: Elle est mariée et son mari est un homme qui voyage. Minutello: Alors, cette fille doit être une jolie vertu (SALACROU, Terre ronde, 1938, I, 1, p. 143).Plais. Croyais-tu pas avoir trouvé une vertu le jour où tu me racolas dans un cabaret? (HUYSMANS, Marthe, 1876, p. 75).Moyenne(-)vertu. Femme (dont la vertu est) peu farouche. Il se trouvait (...) une assez nombreuse compagnie. Des moyennes-vertus, des filles d'Opéra (...) et une douzaine de jeunes gens du monde, brillants par leur esprit, leurs prodigalités, ou leur débauche (BOURGES, Crépusc. dieux, 1884, p. 290). (Dame, demoiselle, femme) de petite vertu. Il y avait, aux alentours de l'école de médecine, un certain nombre de « demoiselles de petite vertu » qu'il connaissait (MARTIN DU G., Devenir, 1909, p. 106).4. [En représentation symbolique dans l'art chrét.] Les Vertus cardinales assises soutenoient le lutrin triangulaire (CHATEAUBR., Génie, t. 2, 1803, p. 285). Le surcot d'hermine que porte la justice est bordé de roses et de perles. Notre vertu a le front ceint d'une couronne ducale, ce qui a pu laisser croire qu'elle reproduisait les traits d'Anne de Bretagne (FULCANELLI, Demeures philosophales, t. 1, 1929, p. 195).5. P. ext. Qualité morale. Vertus civiques, domestiques, militaires. Sous la surveillance d'une maîtresse dont la principale vertu est la sévérité (ALAIN, Propos, 1921, p. 240). Roland Alexandre a toutes les vertus qui font le grand comédien (Combat, 19-20 janv. 1952, p. 2, col. 2).B. — 1. Vieilli ou littér. Propriété d'un corps, de quelque chose à quoi on attribue des effets positifs. Vertus d'une plante; remède sans vertu; avoir des vertus; connaître la/les vertu(s) de. Cette eau a des vertus particulières. Prise pendant neuf jours, elle guérit les yeux des petits enfans (SENANCOUR, Obermann, t. 2, 1840, p. 37). Les vertus curatives et préventives des fruits frais (R. SCHWARTZ, Nouv. remèdes et mal. act., 1965, p. 74).— En partic., vx, SC. Vertu active. Principe agissant, pouvoir actif (d'apr. ROB. 1985). On avait récemment, au moyen de la distillation, tiré du haschisch une huile essentielle qui paraît posséder une vertu beaucoup plus active que toutes les préparations connues jusqu'à présent (BAUDEL., Paradis artif., 1860, p. 353).2. Domaine abstr. Pouvoir, propriété. Vertu d'un dialogue. Le temps n'a par lui-même aucune vertu effective; tout arrive dans le temps, mais rien ne se fait par le temps (PROUDHON, Propriété, 1840, p. 202). Quand on fixe une heure à une femme, c'est sans y croire, c'est plutôt une heure qu'on se fixe à soi-même: on se dit qu'on n'aura à souffrir qu'à partir de ce moment-là. Voilà la vertu consolative du rendez-vous, du rendez-vous auquel elles ne se rendent pas (MORAND, Homme pressé, 1941, p. 222).3. Loc. En vertu dea) Par le pouvoir de. La poursuite peut avoir lieu en vertu d'un jugement provisoire ou définitif, exécutoire par provision, nonobstant appel (Code civil, 1804, art. 2215, p. 406).b) En raison de, conformément au pouvoir de; en conséquence de. En vertu des pouvoirs qui me sont conférés; en vertu des bons principes. Une planète, qu'on suppose lancée dans l'espace en un instant donné, avec une vitesse et suivant une direction déterminée, parcourt, autour du soleil, une ellipse, en vertu d'une force dirigée vers cet astre, et proportionnelle à la raison inverse du carré des distances (CONDORCET, Esq. tabl. hist., 1794, p. 175). La faillite de Fendant et de Cavalier rendait leurs billets exigibles en vertu d'une des dispositions du Code de commerce (BALZAC, Illus. perdues, 1839, p. 526).C. — RELIG. Un des cinquièmes choeurs de la hiérarchie des anges. Il y a trois hiérarchies d'esprits célestes (...) la première comprend les Séraphins (...) la deuxième, les Dominations, les Vertus et les Puissances (A. FRANCE, Révolte anges, 1914, p. 101). Il existe des natures spirituelles; telles que les anges, les archanges et les autres vertus célestes et aussi notre âme (CENDRARS, Bourlinguer, 1948, p. 100).Prononc. et Orth.:[
]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. Fin Xe s. vertud « pouvoir » (Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 376); 1643 faire vertu « exercer une certaine influence » (CORNEILLE, Menteur, IV, 1); 2. ca 1100 « force physique, vaillance » (Roland, éd. J. Bédier, 1045); 3. ca 1145 « pratique du bien, force morale appliquée à suivre la règle » (WACE, Conception N.-D., éd. W. R. Ashford, 617). B. 1. Ca 1145 « telle ou telle qualité particulière » (ID., ibid., 1241); ca 1265 « qualité portée à un degré supérieur » (BRUNET LATIN, Trésor, éd. F. J. Carmody, II, 87, p. 269); 2. a) 1170 plur. théol. « un des ordres de la hiérarchie céleste » (MAURICE DE SULLY, Sermons, éd. C. A. Robson, 23, 39, p. 136); b) ca 1275 sainte vertu (de Dieu) (ADENET LE ROI, Enfances Ogier, éd. A. Henry, 368, p. 71); 1279 vertus cardinales, v. cardinal; c) 1370-72 vertus intellectuelles (ORESME, Ethiques, éd. A. D. Menut, 36a, p. 169); 3. a) 1642 « femme vertueuse » (CORNEILLE, Polyeucte, II, 4); 1677 « chasteté féminine » (RACINE, Phèdre, II, 6); 1732 (femme) de moyenne vertu (LESAGE, Guzm. d'Alf., II, 6 ds LITTRÉ); 1909 demoiselle de petite vertu (MARTIN DU G., Devenir, p. 91); b) 1810 encre de la petite vertu « de mauvaise qualité » (COURIER, Lettre à M. Renouard, p. 261); 4. 1832 « représentation symbolique d'une vertu chrétienne » (RAYMOND); 5. 1876 « nom donné pendant la révolution de 1789 aux figures remplaçant les dames dans les jeux de cartes » (Lar. 19e). C. 1. Ca 1150 « qualité propre à produire tel ou tel effet » (WACE, St Nicolas, éd. E. Ronsjö, 1113); 1270 « propriété d'une chose » (PHILIPPE DE BEAUMANOIR, Manekine, 2238 ds Œuvres, éd. H. Suchier, t. 1, p. 71: Des bonnes pieres ki i sont et des vertus qu'elles ont); XIIIe s. les vertus des herbes « principe, pouvoir actif » (Queste del Saint Graal, éd. A. Pauphilet, 220, 11); 2. 1659 en vertu de (DUEZ, Dict. ital. e françois). Du lat. virtutem, acc. de virtus « qualité distincte de l'homme, mérite, valeur », « qualités morales », « vigueur morale, énergie », « bravoure, courage, vaillance ». Fréq. abs. littér.:11 874. Fréq. rel. littér.:XIXe s.: a) 26 421, b) 11 804; XXe s.: a) 11 527, b) 14 694. Bbg. QUEM. DDL t. 28 (s.v. de la petite vertu). — SCKOMM. 1933, pp. 124-130.
vertu [vɛʀty] n. f.ÉTYM. 1080, « courage, vaillance », et aussi « force physique; jugement, sagesse »; les autres sens dès les XIIe-XIIIe; du lat. virtus, -tutis (accusatif virtutem) « mérite de l'homme (vir); courage, énergie, vertu, perfection ».❖1 Oserons-nous, Messieurs, sous peu de jours, quand vertu, substantif féminin, viendra par-devant nous, se proposer à son rang dans la suite du Dictionnaire, dire la vérité ? (…) Dirons-nous que ce nom est moins que rare dans l'usage; — rarissime —, presque inusité ? Je m'assure que nous ne l'oserons pas, c'est-à-dire que nous nous sentirions quelque honte à reconnaître ce qui est. Cependant le fait est là; il est incontestable.Valéry, Variété IV, p. 164.———I (Vx ou didact.)A La vertu.1 Vx. Énergie morale; force d'âme. ⇒ Cœur, courage. → Accorder, cit. 11. || « C'est la seule vertu qui fait leur différence » (cit. 7). || « Sais-tu que ce vieillard fut la même (cit. 13) vertu ». || Flotter (cit. 15) entre la mollesse et la vertu. — Considération due à la vertu. ⇒ Gloire (cit. 12, 15 et 16), honneur (II.); → 1. Ombre, cit. 36 et 43. — La naissance (cit. 8 et 10) et la vertu (→ Noblesse, cit. 9). ⇒ Valeur. || « L'animal sans vertu… » (l'âne vêtu de la peau du lion). → Oreille, cit. 38, La Fontaine.2 Lorsqu'on est assez heureux pour avoir de la vertu (toujours vertu dans le sens antique et non dans l'acception de la morale étroite), c'est, à mon sens, une ambition très noble que d'élever cette même vertu au sein de la corruption, de la faire réussir, de la mettre au-dessus de tout (…)Vauvenargues, Réflexions et maximes, Introduction.2.1 L'expérience en cours pose pour moi le seul problème politique : ce que peut un homme, ce que peut, au sens fort du mot, la vertu d'un homme pour sauver l'État, sans user de violence.F. Mauriac, Bloc-notes 1952-1957, p. 117.♦ Spécialt. Courage militaire (→ Désordre, cit. 7). || « Si la vertu militaire (cit. 2) enseigne quelques vertus elle en affaiblit plusieurs ». Par ext. || La vertu de mon bras… (→ Haleine, cit. 24). — Vertu romaine, antique (se dit pour distinguer ce sens du 2).2 Vieilli. Force avec laquelle l'homme tend au bien; force morale appliquée à suivre la règle, la loi morale définie par la religion et la société. ⇒ Morale; devoir (pratique du devoir). || La vertu est toute dans l'effort (cit. 14). || « J'honore (cit. 20) du nom de vertu l'habitude de faire des actions pénibles et utiles aux autres » (Stendhal). || Nous nous soutenons dans la vertu par le contrepoids (cit. 3) de deux vices opposés. || La vertu n'irait pas loin si la vanité ne lui tenait compagnie (cit. 1). — Les apparences de la vertu (→ Embarras, cit. 17). || Ostentation de vertu. ⇒ Pharisaïsme. || Fanfaron (cit. 6) de vertu. || L'hypocrisie, hommage (cit. 26) que le vice rend à la vertu. || « Le vice et la vertu sont des produits… » (cit. 3). || Récompenser la vertu. || Les malheurs de la vertu.2.2 (…) l'on a mis l'immutabilité au rang des perfections de l'Éternel; mais la vertu est absolument privée de ce caractère : il n'est pas deux peuples sur la surface du globe qui soient vertueux de la même manière; donc la vertu n'a rien de réel, rien de bon intrinsèquement, et ne mérite en rien notre culte; il faut s'en servir comme d'étai, adopter politiquement celle du pays où l'on vit, afin que ceux qui la pratiquent par goût, ou qui doivent la révérer par état, vous laissent en repos (…)Sade, Justine…, 1791, t. I, p. 117.♦ La vertu de qqn; une vertu austère, âpre (→ Galant, cit. 12), rigide, sévère, héroïque (cit. 13), parfaite, angélique. || « Il faut parmi le monde une vertu traitable » (→ Blâmable, cit. 2). — Exhortation à la vertu. ⇒ Parénèse, sermon; édifier; édification. ☑ Prix (cit. 26) de vertu, décerné à une personne pleine de vertu. ☑ Croître, grandir en vertu, en étant de plus en plus vertueux. || Vertu naissante (cit. 2 et 4), de l'enfant qui acquiert le sens moral avec l'âge de raison. — Allus littér. || Vertu, tu n'es qu'un nom (cit. 42). → Nominalisme, cit. || « Où la vertu va-t-elle se nicher ? » (cit. 4). || « Toi, vertu, pleure si je meurs » (Chénier, Iambes, XII). — ☑ Loc. fam. Il a de la vertu : il a du mérite (à faire cela). → Il est bien bon. || C'est de la vertu. ⇒ Héroïsme (par plais.).3 (…) la vertu ne consiste qu'en la résolution et la vigueur avec laquelle on se porte à faire les choses qu'on croit être bonnes (…)Descartes, Lettres, À Christine de Suède, 20 nov. 1647.4 (…) ne savez-vous pas que la vertu est un état de guerre, et que, pour y vivre, on a toujours quelque combat à rendre contre soi ?Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, VI, VII.5 Qu'est-ce que la vertu ? C'est sous quelque face qu'on la considère, un sacrifice de soi-même.Diderot, Éloge de Richardson.6 Provisoirement je penserai que la vertu, c'est ce que l'individu peut obtenir de soi de meilleur.Gide, Journal, Nov. 1947, Feuillets d'automne.7 M'est avis, donc, que le bonheur intime et propre n'est point contraire à la vertu, mais plutôt est par lui-même vertu, comme ce beau mot de vertu nous en avertit, qui veut dire puissance.Alain, Propos, 6 nov. 1922, « Bonheur est vertu ».3 Littér. Conduite, vie vertueuse. || « Un prince (…) qui chérit la vertu, qui sait punir le crime » (Corneille). || La vertu et le crime (→ Magnanime, cit. 1; mélodrame, cit. 3). || La vertu récompensée (cit. 5).♦ Les personnes vertueuses (→ Poursuivre, cit. 4). || Justine ou Les malheurs de la vertu.8 Parcouru hier les Malheurs de Justine, de de Sade. L'originalité de l'abominable livre, elle n'est pas pour moi dans l'ordure, la cochonnerie féroce, je la trouve dans la punition céleste de la vertu, c'est-à-dire dans le contrepied diabolique des dénouements de tous les romans et de toutes les pièces de théâtre.Ed. et J. de Goncourt, Journal, 14 sept. 1884, t. VI, p. 236.♦ Spécialt, vieilli. || La vertu politique (Montesquieu, l'Esprit des Lois, IV, 5; → aussi Éducation, cit. 4), publique (→ 1. Parler, cit. 24), sociale. || Terreur (cit. 5) et vertu (sous la Révolution).4 (1677). Vieilli ou par plais. Chasteté (d'une femme). ⇒ Honnêteté, pudeur, pudicité, pureté, sagesse, tempérance (→ Fidélité, cit. 4; honnête, cit. 14; légèreté, cit. 9; soin, cit. 3). || Irréprochable (cit. 4) vertu; vertu farouche, inexpugnable. || Prix de vertu, se dit, par ext., d'une femme qui le mériterait (⇒ Rosière). || Ce n'est pas un prix de vertu. ☑ Femme de petite vertu, de mœurs légères. — Vertu chancelante, fragile, qui succombe. — ☑ Péj. Dragon (cit. 3 et 5) de vertu. — Par plais. (en parlant d'un homme). → Rosière, cit. 3.9 Qu'une femme est à plaindre, quand elle a tout ensemble de l'amour et de la vertu !La Rochefoucauld, Maximes, 548.9.1 Comment une fille peut-elle être assez simple pour croire que la vertu puisse dépendre d'un peu plus, ou d'un peu moins de largeur dans une des parties de son corps. Eh ! qu'importe aux hommes ou à Dieu que cette partie soit intacte ou flétrie ?Sade, Justine…, 1791, t. I, p. 44.10 — Je ne crois pas à la vertu, dit l'autre.— Vous avez raison, dit encore mon maître. De la façon qu'est fait l'animal humain, il ne saurait être vertueux sans quelque déformation. Voyez, par exemple, cette jolie fille qui soupe avec nous (…) En quel endroit de sa personne pourrait-elle loger un grain de vertu ? Il n'y a point la place, tant tout cela est ferme, plein de suc, solide et rebondi. La vertu, comme le corbeau, niche dans les ruines. Elle habite les creux et les rides des corps.France, la Rôtisserie de la reine Pédauque, Œ., t. VIII, p. 157.10.1 Oh ! les femmes !… tenez, les voilà, les femmes ! toutes menteuses !… toutes perfides, jusqu'à celle-là, qui voulait se faire passer pour une vertu… et qui est à la tête d'un mioche !…E. Labiche, Frisette, 10 (1879).5 (Sens objectif). La règle morale; le principe qui pousse à la vertu (2.; → Assujettir, cit. 22; conséquent, cit. 1). || Suivre la vertu (→ Générosité, cit. 3). || Le chemin, le sentier de la vertu (→ Marcher, cit. 15).11 Ô vertu, science sublime des âmes simples, faut-il donc tant de peines et d'appareil pour te connaître ? Tes principes ne sont-ils pas gravés dans tous les cœurs ? et ne suffit-il pas pour apprendre tes lois de rentrer en soi-même, et d'écouter la voix de sa conscience dans le silence des passions ?Rousseau, Disc. sur les sciences et les arts, II.B Une, les vertus.1 Disposition constante à accomplir une sorte d'actes moraux, par un effort de volonté; qualité portée à un degré supérieur. || À la différence des qualités, éléments de la nature humaine, les vertus sont des dispositions acquises ou du moins actives. → Franchise, cit. 7; gloire, cit. 13; qualité, cit. 11 et 13. || Vertu suprême (→ Renoncement, cit. 5). || La vertu des vertus (→ Éminence, cit. 3). || Une grande et rare vertu (→ 1. Patience, cit. 11). || Belles vertus (→ Loyal, cit. 4). || Un mélange de vertus et de vices (→ Ambigu, cit. 6). || Nos vertus (…) vices déguisés (cit. 8, La Rochefoucauld). || « Les vices entrent dans la composition (cit. 1) des vertus… » (La Rochefoucauld). → Insinuer, cit. 8, Pascal. || « Les vertus devraient être sœurs Ainsi que les vices sont frères » (→ Emparer, cit. 9, La Fontaine). || Vertus apparentes (cit. 6), cachées, profondes, solides… || « Les vertus se perdent dans l'intérêt… » (→ Fleuve, cit. 4, La Rochefoucauld). — Relig. || Les quatre vertus cardinales (cit. 1; ⇒ Courage, justice, prudence, tempérance); les trois vertus théologales (⇒ Charité, espérance [cit. 27], foi). || Vertus religieuses (→ Augmenter, cit. 15); vertus terrestres (→ Saint, cit. 13). — La vertu de clémence, de générosité, d'humilité (cit. 10 et 14), de patience, de miséricorde; d'honnêteté, de probité… || Vertus privées (→ Témoignage, cit. 8). || Vertus civiles (cit. 3), civiques (→ Intégrité, cit. 7), publiques (→ Dessécher, cit. 5). || Les vertus bourgeoises (→ Épargne, cit. 5). || « Aux vertus qu'on exige des domestiques… » (cit. 8, Beaumarchais). — Parer (1. Parer, cit. 5) qqn de toutes les vertus. || « Faire entrer (à un enfant) les vertus par le cul » (→ Fesser, cit. 3, France).12 Seigneur, de vos bontés il faut que je l'obtienne;Elle a trop de vertus pour n'être pas chrétienne.Corneille, Polyeucte, IV, 3.13 J'aime mieux un vice commodeQu'une fatigante vertu.Molière, Amphitryon, I, 4.14 Toutes les vertus d'humilité, de pardon, de charité, d'abnégation, de dureté pour soi-même, vertus qu'on a nommées à bon droit chrétiennes, si l'on veut dire par là qu'elles ont été vraiment prêchées par le Christ, étaient en germe dans ce premier enseignement.Renan, Vie de Jésus, V, Œ. compl., t. IV, p. 137.15 (…) la vertu de l'adolescent, c'est la pudeur; et la vertu de l'homme mûr, c'est la justice; et la vertu du vieillard, c'est la sagesse; et je veux que la vertu de chacun ressemble au vice qui lui est propre (…)Alain, Propos, 18 nov. 1922, « Les âges et les passions ».♦ ☑ Loc. Faire de nécessité (cit. 13 et 14) vertu.2 Plur. Anges du second chœur du second ordre. || Dominations (cit. 7), Vertus et Puissances (second ordre).♦ (1789). Pendant la Révolution, Figure du jeu de cartes remplaçant les dames.———II (XIIe). || La vertu de…; une vertu.1 Principe qui, dans une chose, est considéré comme la cause des effets qu'elle produit. ⇒ Efficacité, énergie, faculté, force, pouvoir, propriété. → 1. Dépendre, cit. 7. || Vertu magique (cit. 1), occulte (cit. 1 et 2). || La vertu des amulettes (cit. 1), des pierres (cit. 27). || Vertu aurifique de la pierre philosophale.♦ Vx, en sciences. Principe, pouvoir actif. || Une vertu attractive (cit. 5)… || La vertu dormitive (cit. 2). — Vertu médicale, curative, thérapeutique (→ Médicinal, cit.). || La vertu des drogues (→ Guérir, cit. 10), des herbes (→ Drogue, cit. 2). || Les vertus du cautère (cit. 1).2 (Abstrait). ⇒ Pouvoir. || « Puissante vertu de la famille » (cit. 24). || La vertu réparatrice du temps (cit. 39). || Vertu significative (cit. 1) de chaque partie de l'homme physique.16 Dans tout ce que je fais j'ai la triple vertuD'être à la fois trop court, trop long et décousu.A. de Musset, Poésies nouvelles, « Chant troisième », II.3 ☑ Loc. En vertu de… : par le pouvoir de… — Vx (en parlant d'une cause physique). || En vertu de l'élasticité (cit. 3) du bois…, à cause de… — Dr. || En vertu de la loi (→ Obéir, cit. 7), des pouvoirs… (→ aussi Forme, cit. 67; gabelle, cit. 2). — Cour. Au nom de. || En vertu des principes (cit. 15)…, d'une habitude (→ Quitter, cit. 23). || En vertu de quoi. ⇒ Pourquoi.❖CONTR. Lâcheté, défaut, vice. — Immoralité, imperfection. — Débauche, désordre, libertinage.
Encyclopédie Universelle. 2012.